mercredi 8 janvier 2014

L'amour qui fesse!

"Love does not hurt."

Quand j'ai entendu cette phrase à l'émission de Oprah, ça a fessé.
Vérité assez de base que vous allez me dire. L'amour, c'est pas supposé faire mal.
C't'encore drôle que je vais vous répondre. Explications.

J'avais 19 ans. Mes ami(e)s de l'époque et moi on vaquait à notre activité préférée : boire de la bière et jaser dans un bar. Puis tout d'un coup, bang! L'ami d'un ami arrive et il est juste trop beau. Et quand je dis trop beau, j'veux pas dire "Ouin, yé pas laid!" j'veux dire le genre qui se faisait arrêter sur la rue par des recruteurs de mannequins qui lui laissaient leur carte. Ouin, beau d'même.

Ça n'a pas été long que moi aussi, j'voulais le recruter. On s'est mis à jaser, il était aussi charmant que beau, il était grand, il sentait bon, on s'est embrassés, on s'est fréquentés, on s'est aimés et next thing you know je partais de chez ma mère pour emménager avec lui. Mon premier appart', avec le plus beau gars en ville, je me pinçais presque.

Au début, c'était le rêve. Déjà de partir en appartement, ça donne une sensation de liberté incroyable. Tu peux manger des chips pour souper, des pop tarts pour déjeuner, peinturer ta chambre 3 couleurs, faire des partys tous les samedis soirs, jouer au Nintendo toute la nuit dans le salon, un peu tipsy sur le Shnapps au pêches. C'est la concrétisation d'un fantasme d'adolescent attardé qui organise le festival du mauvais jugement sans même être jugé. Ça a duré à peu près 6 mois.

Puis j'ai commencé à connaître un autre côté de la personnalité de mon beau mec. Mon Anakin a commencé à virer Darth Vader. Au début, c'était des petites phrases.

"T'es sûre que tu veux manger ça? Tsé, t'es pas mince, mince...".

Pis c'est vrai que j'étais pas la plus mince et je voulais le garder mon mec, il était tellement beau! Et quand il était fin, il était tellement fin!
Dans le fond, il était juste honnête, il disait ça pour me rendre service!

Puis il a commencé à me dire des choses déplaisantes et/ou dégradantes devant ses amis. Aujourd'hui, avec le recul, je comprends que c'est son complexe d'infériorité de gars qui n'avait pas son secondaire 2 et qui sortait avec une fille en train de faire un Bac avec brio qui le poussait à me rabaisser, mais du haut de mes 20 ans ça faisait juste mal.

Comme la fois où on prenait un verre en gang sur une terrasse (encore) et que j'étais super fière d'annoncer que j'avais eu A+ dans mon cours de droit. Il a ajouté "Ben là, tsé, t'es chanceuse, t'étudies même pas pis tu te pètes des scores!!!", puis un de ses amis a enchaîné en proposant un toast à l'autre fille de la bande, celle qui avait enfin passé son permis de conduire après 3 échecs. Alors oui, c'est à ça qu'on a trinqué, c'était ça l'exploit du soir. Mon mec m'a regardé et m'a fait un clin d’œil. Alors j'ai pris sur moi et j'ai trinqué aussi. Y'était tellement beau!

Un moment donné, il est arrivé avec un nouveau système de son pour l'appart. Comme on n'était pas riches, j'ai demandé d'où ça venait, je me suis fait répondre :
"Toi pis tes esties de questions, pas capable d'être juste contente des fois, hein? Ben non!".
J'ai compris que ça avait été volé... et d'arrêter de poser trop de questions.

Puis "Tes pas mince, mince" est devenu "T'es pas belle. T'es grosse. T'es chanceuse que je reste avec toi parce que y'a pas un gars qui voudrait de toi, regarde-toi!".

Et moi je le croyais, pis je me trouvais chanceuse parce que non seulement y'en a un qui voulait de moi, mais en plus c'était le plus beau!!!

Et avec le temps, "Ostie que tu me fâches des fois" est devenu "Des fois tu mériterais que je t'en krisse une". Ma vie était parsemée d'un coup de poing sur la table, d'une table brisée, du chat qui revole parce qu'il avait eu la mauvaise idée d'être dans son champ de vision pendant la game de hockey...

La fois où il a voulu me frapper au visage, je me suis tassée juste à temps et il a frappé le mur. Il s'est cassé 2 jointures. Ça l'a fâché, parce que si je m'étais pas tassée, il se serait pas fait si mal!

Après ça, tous les jours, je voyais les marques des jointures dans le mur du corridor et je me trouvais chanceuse parce que ça aurait pu/dû être ma face. Pis qu'il était tellement beau !

Un soir, il était vraiment fâché. Comme on dit, y'était en tabarnak. Je sais plus si j'avais fait quelque chose qu'il considérait stupide (parce que ça arrivait souvent) ou si c'est juste que le Canadien avait perdu (demandez-vous pas pourquoi j'ai le hockey en horreur), mais il était vraiment, vraiment fâché. Il m'a attrapée par la gorge et m'a "pinnée" sur le mur. Pendant quelques secondes, mes pieds ne touchaient plus le sol. Il a fini par me lâcher. J'ai fini par reprendre mon souffle. Je ne me souviens réellement pas de ce qui avait provoqué ça, mais depuis ce temps-là, personne ne peut approcher sa main de mon cou sans que je panique, je n'arrive même pas à porter un collier. Et ça fait 20 ans.

Après chaque grosse crise, il devenait un autre homme. En terme de cycle de la violence, on appelle cette phase-là celle de la lune de miel. Il se mettait à genoux, piteux, repentant, les yeux plein d'eau, à me dire qu'il était un écœurant, qu'il ne me méritait pas, que j'étais extraordinaire, qu'il m'aimait plus que tout, que j'étais belle, qu'il ne voulait pas me perdre... Il me couvrait de baisers, de fleurs, de cadeaux, de petites attentions, alors je le croyais et je restais. Dans ces moments-là, il était tellement, mais tellement beau!

C'est le jour où j'ai réalisé que ma mère avait peur qu'il ne me frappe que j'ai flashé. Comme si le fait qu'il veuille le faire ne suffisait pas. Il fallait que quelqu'un que j'aime s'inquiète pour moi pour que je réalise que ça n'avait pas de sens. Normal, à force de me faire dire que j'étais moche et que personne ne voudrait de moi, j'avais fini par le croire. Mais l'idée que ma mère angoissait pour moi, ça, ça m'a sciée en deux. Alors je l'ai finalement quitté. Évidemment, il a fait comme si ça faisait son affaire, qu'en fait LUI me quittait, il m'a blessé jusqu'à la dernière goutte. Un des derniers soirs de notre cohabitation, il a découché et est revenu le lendemain, tout fier de me dire qu'il avait couché avec une autre fille et qu'elle au moins, elle avait des gros seins.

Le jour glacial du déménagement, je lui ai dit qu'il pouvait garder le poêle et le frigo vu qu'on m'en avait finalement donnés, et que je savais qu'il n'en avait toujours pas. Il m'a dit "Merci", m'a regardé dans les yeux... et les a lancés par dessus le balcon.
Du troisième étage.

Après, quand j’annonçais qu'on s'était séparés, la réaction était généralement :
"Oh non, c'est vrai? C'est donc ben d'valeur. Il était tellement beau!!!"

Ouin. Y'était ben ben beau. Mais c'est l'amour qui est supposé être beau, pas juste le gars.

L'amour c'est pas supposé faire mal. Jamais. Même si un gars te dit "Ben là tu exagères, frapper, frapper... t'as même pas de marques!" (on m'a déjà dit ça, parce que oui, j'ai eu un round 2 avec les hommes à la mèche courte et aux poings légers), écoute-le pas, ce n'est pas vrai. Ça laisse des marques. Ben plus que tu penses.
Ce n'est pas parce qu'on ne les voit pas qu'elles ne sont pas là.

La preuve : je mets ce billet en ligne et je me demande si je devrais parce que j'ai peur qu'on me juge et qu'on me trouve conne.
Je ne suis pas débile, mais ça, c'est indélébile.

Aujourd’hui, je ne supporte pas que quelqu'un hausse le ton. Parce que dans ma tête :
Crier = Fâché = Y'a quelqu'un ou quelque chose qui va revoler, et si c'était moi?

Quand on me dit que je suis belle, je dis merci, mais dans ma tête, il y a toujours une petite voix qui dit "Ben non, t'es pas belle, pis t'es grosse!".

Si on approche une main de mon visage, je suis sur le bord de la panique. J'ai dû apprendre ça à mes enfants parce que ma réaction est incontrôlable et qu'avoir peur quand ton enfant veut te toucher c'est un peu traumatisant pour l'enfant.


Pas de marques?
VRAIMENT???

By the way, je ne cherche pas la pitié ni n'espère recevoir de messages de compassion. Même que ça me rendrait mal à l'aise. Je ne souhaite pas me faire analyser. J'ai eu une belle enfance, j'ai des parents fantastiques, une mère extraordinaire, pas de père manquant, il n'y avait aucune violence chez moi, ne cherchez pas midi à 14 heures.

Je veux juste rappeler que l'amour n'est pas supposé faire mal et vous éviter de l'apprendre à la dure.



16 commentaires:

  1. C'est drôle puisque je suis exactement dans la réflexion inverse. j'ai rencontré une fille avec qui plusieurs choses vont très bien mais qui n'est pas extrêmement jolie. Ça me bogue un peu mais le reste va tellement bien incluant le sexe que je me dis qu'en bout de ligne "la beauté est intérieure". Facile à dire mais on est tellement focusé sur la beauté de nos jours que cela continue à me boguer et à me faire questionner. Cela dit je sais bien que si j'avais une top modèle cruche je ne serais pas capable d'endurer cela... Ton texte démontre bien qu'il n'y a pas que la beauté dans la vie.

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    1. Tellement et comme tu dis, ça marche dans les deux sens :)

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  2. On a pas besoin d'avoir eu une enfance difficile pour "tomber dans le piège" de l'amour-destruction. Juste perdre un peu trop d'objectivité parce que l'intensité de notre amour, admiration, passion prend toute la place. L'important, c'est que tu te sois aimée suffisamment pour ne pas rester, au round 1 comme au round 2. xx

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    1. Je pensais avoir compris, puis il y a eu le round 2.. je pense pas me rendre au round 3, ouf :)

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  3. Mon Dieu...J'aurais pu écrire ça. Moi, la fille qui disait "Si un gars me touche, je pars, c'est clair. Sont ben niaiseuses les filles qui restent". J'avais 19 ans. Mon premier chum. Quand j'ai vu cet épisode d'Oprah l'année dernière, j'ai pleuré comme une madeleine (j'ai 33 ans maintenant!). Plusieurs années après, quand mon amoureux (un autre) a seulement élevé la voix, j'ai pratiquement eu une attaque de panique. Ton texte me touche beaucoup. :)

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    1. Moi aussi je me suis effondrée en entendant Oprah. C'est une phrase toute simple mais SI importante. Désormais j'essaie de garder ça en tête tout le temps, si ça fait mal c'est PAS de l'amour. I'm out!!! Ouf, pas toujours facile...Merci à toi pour ton commentaire !

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  4. Je suis toute à l'envers après t'avoir lue. J'ai eu un copain violent psychologiquement, il ne m'a jamais frappée, mais ça laisse quand même des marques. J'avais la chance d'être un peu plus jeune (15 ans), donc trop jeune pour vivre avec lui, ce qui m'a préservée un peu, je crois.
    Si j'avais de bonnes notes (contrairement à lui, bien sûr), c'est que j'étais une «téteuse de prof». Ce grain de beauté dans mon visage, c'était une tache de marde. Mais en même temps, j'étais «trop belle», disait-il. J'ai eu droit à une crise épouvantable la fois où ses amis m'ont vue en maillot de bain… à la piscine. Il m'aurait caché sous une burqua s'il avait su que ça existait. Je n'oublierai jamais la fois où il a tellement insisté que j'ai accepté de «faire l'amour» avec lui même si je n'en avais absolument pas envie. Pendant que Monsieur prenait son pied, je serrais les dents et regardais le plafond en espérant que ça finisse vite. Quand il a eu finit, il m'a engueulé au sujet de mon manque d'enthousiasme (ça ne l'avait pas empêché de jouir, par exemple...) et j'ai dû m'excuser (oui, oui) pendant des jours à ce propos. J'étais jeune, je manquais de confiance en moi et il avait réussi à faire le vide autour de moi en se disputant avec toutes mes amies. Un jour, après une énième crise, je l'ai laissé tombé. Il s'est organisé pour que tout le monde sache que c'était moi, la grosse méchante dans l'histoire… Le nombre de personnes qui m'ont parlé de «pauvre lui»...
    Bravo pour ton courage d'avoir écrit ce témoignage! Cela fera 20 ans en mars, et je ne suis même pas capable de signer mon commentaire avec mon nom complet...

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  5. Salut Anne-Marie, En le quittant, tu as tellement fait le bon choix! Et que tu ne réponde pas aux standards de minceurs ne veut en rien dire que tu est trop grosse ou laide. Je ne pense PAS que la beauté soit la clé dans une relation et je m'explique; je lis souvent; "que la vraie beauté vient de l'intérieur" Bla! Bla! Bla! Pour moi, c une question de charme; il y a des pichous sur la terre, qui attirent les autres comme des aimants, parce qu'ils sont plein de charisme, drôles et sympathiques. Ils sont souvent bien mieux dans leur peau, puisqu'ils doivent utiliser autre chose que leur aspects physiques pour plaire. Et puis c quoi être beau/belle? Je veux dire, que la beauté, c une perception différente d'une personne à l'autre; il y a des femmes qui capotent sur les hommes avec un six-pack, grands, minces, les traits fins et les cheveux blonds aux yeux bleus. Mais personnellement, je n'ai aucune attirance pour ce genre de modèle... heureusement pour moi, il en existent d'autres modèles. J'en ai un qui m'aime tel que je suis. Et je l'aime aussi tel qu'il est. Ce que j’essaie de te dire, que tu as ta propre beauté, et que dans le lot d'hommes qui existent sur la planète, il y en a un qui t'aime comme ça. Ou qui pourra vraiment t'aimer comme tu es, un jour. Je te souhaite de "guérir" de tes blessures psychologiques. Car oui c possible et je ne dis pas que c facile non plus. Mais c faisable. Avec beaucoup de patience et d'indulgence envers toi. Et ça sera une grande victoire pour chaque petites batailles de gagnées, tu mérite de t'aimer et de traverser cette épreuve. Bonne chance dans tes démarches. PS: Tu n'es pas la seule à chercher à remonter de ce genre d'expériences, Beaucoup de femmes vivent cela. Vois tous ces témoignages que tu suscite. Bravo pour ton courage!

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  6. Bravo Anne-Marie! Tu oses dire ce que plusieurs d'entre nous ont aussi vécu. Moi la première, il y a longtemps, mais oui, ça laisse des marques...Et puis après, on ne cherche plus le même genre de relations. Merci d'avoir écrit ce billet, merci!

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  7. Tu devrais lire sur les "pervers-narcissiques". Ça me rappelle un peu ça. Il y a plusieurs années, j'ai eu une copine qui m'a fait vivre un enfer qui ressemble beaucoup au tient, et j'ai eu le même réflexe que toi: rester parce que je la trouvais belle et que j'avais l'impression que je n'aurais jamais rien de mieux. Ces gens-là sont du poison. Je compatis le plus sincèrement du monde, et te souhaite bonne chance sur la longue route de la rémission.

    PMD

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  8. "Il est vrai, ma raison me le dit chaque jour
    Mais la raison n'est pas ce qui règle l'amour."
    Le Misanthrope, I, 1, v. 247-248

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  9. C'est souvent difficile de quitter les relations malsaines qui nous pourrissent la vie. Aucune violence pour ma part, mais de la jalousie à ne plus savoir quoi en faire. J'ai même pleuré cette relation pendant plusieurs semaines. Aujourd'hui, je me rends compte à quel point c'était malsain et à quel point, je vis mieux sans cette personne. Merci Anne-Marie pour tes billets. Ils me font rire, réfléchir et garder espoir. xx

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  10. Je te donnerais l'award du meilleur blogue juste pour ce billet-là, Anne-Marie. Même si, franchement, t'as déjà été plus drôle ;) MS

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  11. Awww c'est ben fin :) L'humour va revenir ça sera pas long lol ;)

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  12. Je trouve que tu décris bien le process of thoughts dans une relation où y'a manipulée et manipulateur (l'inverse peut aussi s'appliquer). Merci.

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  13. Merci pour ce billet. C'est réconfortant de savoir que nous ne sommes pas seules a vivre ou avoir vécu ces situations. C'est alarmant de voir à quel point elles sont répandues. La violence conjugale n'a pas d'âge, pas de classe sociale, pas d'apparence physique. Tu décris parfaitement ce que j'ai vécu...enfance heureuse, famille unie, très proche de mon père, une maîtrise en poche, jolie, douée à l'école et dans les sports, je sortais avec LE beau mec. 3 ans d'insultes insidieuses, de manipulation, de domination pour finalement mener à une agression sexuelle suite à laquelle je suis partie...trop tard. 5 ans plus tard, j'ai repris le plein contrôle sur ma vie, mais je crains définitivement de vivre un round 2.

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